Une itw de Julian Casablancas... il parle peu, mais quand il s'y met, c'est assez particulier...
Cette itw doit dater de 2002 ou 2003, mais elle est intéressante, pour comprendre le personnage...
« J'ai les mêmes buts, les mêmes idéaux, les mêmes tous... En gros, j'ai l'impression que quand on fait quelque chose de bien tout le monde s'en tape »...
« Tout ce que je sais, c'est que depuis le début, je voulais quelque chose qui serait... plus cool que le reste, en ne faisant pas la même chose que tout le monde. » « Je suppose qu'il y a quelque chose qu'on a mal fait, ou alors qu'on n'a pas travaillé assez dur. » Il n'est pas nécessaire de passer beaucoup de temps avec les Strokes, surtout avec Julian Casablancas, pour réaliser que derrière les sourires et les blagues, ils ne pourraient pas être plus sérieux ou plus ambitieux à propos de ce qu'ils font, et ce qu'ils veulent faire. Quand on en arrive à leurs explications sur ce qu'ils veulent vraiment, elles peuvent paraître un peu maladroites, ou même banales, mais c'est peut-être parce que ce sont des jeunes gens qui essayent d'expliquer ce que les mots décrivent mal : ça parle de musique, de faire quelque chose qui se démarque, et que les gens puissent ressentir.
Mais même s'ils sont aussi sérieux que possible et qu'ils ont connu le succès, les Strokes sont frustrés...
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Tout le monde imagine qu'en ce moment vous passez le meilleur moment de votre vie...« En fait, je passerais le meilleur moment de ma vie si mon seul rêve était d'être un rock star et de m'envoyer en l'air... Mais c'est pas pour ça que je me suis engagé là-dedans.
Quand tu connais la vraie douleur et la vraie dépression, genre "qu'est-ce que je peux faire?", tu serres les poings, et il faut que tu fasses quelque chose sinon tu vas finir par te tuer, parce que tu n'y comprends rien. Et c'est tellement frustrant. Et la seule chose que tu puisses faire contre ça, c'est travailler très dur, peu importe sur quoi. Je parle de bosser comme un chien. Tu te concentres sur une chose. Ca devient spécial. Ne plus penser qu'à la musique. C'est tout ce que je veux faire. »
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Comment tu crois que cette douleur et cette dépression sont apparues?« J'en sais rien » sourit-il. « Je veux dire, regarde autour de toi. Je suppose que j'avais un problème. Je crois que je pensais peut-être trop, quoiqu'il en soit, je me sentais mal... J'essaye pas de me plaindre à propos de quoique ce soit. Le truc bizarre c'est que j'ai été malheureux tellement souvent, pour tellement de raisons différentes, et je n'aime pas trop en parler... »
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Sur quoi les gens se trompent le plus à propos des Strokes?« les gens croient qu'on est des gens hyper snobs. Et pour ce que j'en sais je me sens normal. »
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Pourquoi vous vous appelez The Strokes?« Parce que ça peut signifier plein de trucs artistiques et forts. On fait tous des trucs intéressants de façon différente, et c'est ce que ce mot veut dire. »
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Quand tu avais à peu près sept ans, le mariage de tes parents s'est écroulé. Tu...« J'essaye pas d'expliquer... Je ne sais pas... Tout était, je ne sais pas. Ma mère était très malheureuse et je vivais avec elle, elle pleurait tous les jours, c'était ma vie... Enfin, peu importe...
Quand j'avais onze ou douze ans, à l'école à New York, j'ai réalisé que mon rôle de clown de la classe ne me convenait pas: Etre le clown voulait dire que les filles voulaient seulement être mes amies. Alors j'ai changé. Je me souviens que tout à coup, je me suis mis à être vachement sérieux. C'était bizarre... Mon père a suggéré de m'envoyer dans cette école privée ultra chic en Suisse, dans laquelle il avait été lui-même et qu'il avait adorée. Mon père était européen et aimait le sport; moi j'ai grandi à New York. C'était un choc total. Il pouvait pas savoir. Il n'aimait pas vraiment New York. Moi, j'adore New York.
J'ai détesté la Suisse. Le pire c'était les week-ends. Tous ces gamins sortaient en ville, alors que moi je n''avais pas d'argent de poche comme les autres, et je passais tous mes week-ends assis tout seul dans ma chambre. En fait, j'étais vachement déprimé. »
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C'est ton beau-père, un peintre qui s'appelle Sam Adoquei, qui t'a montré la voie ?« Mon beau-père m'a donné un CD: le Best of des Doors. Je suis resté allongé sur mon lit tout un week-end, à écouter, et j'ai eu l'impression de comprendre: Il y avait tous ces trucs différents ! des trucs instrumentaux cools, des paroles cools, cette façon cool de chanter. Je me suis dit "c'est ça que je veux faire".
De retour à New York, évadé de mon exil Suisse, j'ai écouté mon beau-père me parler d'art, de ce qui fait de toi un artiste, et de combien il faut travailler dur. Je me suis intéressé de plus près à Pearl Jam, et à Nirvana... tout ce qui avait un rapport avec ma vie,... l'adolescence... l'angoisse. C'est juste que j'étais complètement seul. Totalement. Il y avait tellement de gens qui avaient des amis et qui traînaient ensemble en ville, et moi-même je parlais avec quelques personnes, mais c'était une expérience très solitaire, et écouter Nirvana et Pearl Jam me faisaient sentir... positif
J'avais l'impression que, si j'immergeais mon esprit là-dedans, ça pouvait me faire me sentir heureux. Comme si on m'aidait. Je déteste la musique qui dit, "Tout fait c****, j'emm**** ça, on va mourir, suicide toi", et je déteste les paroles qui disent "tout va bien se passer, tout est parfait". L'aspect le plus puissant de la musique, c'est que ça peut t'ouvrir les yeux sur toute cette frustration, et te donner assez d'adrénaline et d'espoir pour que tu partes avec l'idéal que tu peux rendre les choses meilleures si tu fais ton propre truc.
A l'école, J'ai aussi commencé à étudier la musique. J'ai pu étudier la musique jusqu'à la fac en écrivant des petits morceaux classique; J'ai demandé à un coréen que je connaissait de jouer du violon et j'ai emprunté un clavier dans un magasin pendant une offre 'ramenez-le dans un mois si vous ne l'aimez pas'. Les gens ne comprennent pas combien j'ai travaillé dur. Vraiment dur, tu vois ce que je veux dire?
J'ai étudié la composition classique. J'ai toujours cru que je devais connaître les règles avant de les enfreindre. Ca m'a aidé à comprendre ce qui était nul, ce qui était caractéristique, quels étaient les accords et les rythmes les plus courants, ça m'a donné les bases pour pouvoir ensuite penser à des trucs plus originaux... Toute ma vie j'ai réalisé que j'étais à ch***. Toujours. Tout ce que j'ai fait. C'était nul. C'était mon mantra dans tout ce que je faisais: il faut que je fasse mieux. Il faut que je travaille plus dur. C'était le mantra de la musique. Mais je serais jamais vraiment satisfait. C'est comme une courbe exponentielle. Tu t'en approches mais tu n'y es jamais.
Même si j'écris toutes les chansons des Strokes, je partage l'argent récolté en cinq. Sans eux ça ne marcherait pas... Je veux juste écrire de bonnes chansons, et si j'écris de bonnes chansons, je veux qu'elles soient bien jouées, et je pense qu'on peut le faire au mieux, tous les cinq... »
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Jusqu'à quel point les Strokes sont-ils égaux ?« En tant que potes, on se dispute, mais quand on en arrive à la musique, on est tous au même niveau. J'essaye d'y mettre les idées en lesquelles je crois fort. Mais je ne pense pas qu'un moment viendra où je m'entendrai dire 'c'est comme ça'. Ca ne se passe pas comme ça. On essaye de se mettre d'accord sur ce qui est le meilleur, et à la fin de la journée on se sent plus forts. »
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quelle est la phrase d'accroche la plus couramment employée par les journalistes quand ils parlent des Strokes ?
« Punk 70s new-yorkais inspiré du Velvet Underground... » il sourit... « J'ai lu une citation vraiment marrante de Frank Zappa: 'Les journalistes rock sont des gens qui ne savent pas écrire, qui interviewent des gens qui ne savent pas parler, pour des gens qui ne savent pas lire'. J'ai une théorie... Si tu remplaces tous les fans d'Elvis par des fans de Johnny Cash et les fans des Rolling Stones par des fans du Velvet Underground le monde deviendra meilleur car les gens auront une vision des choses plus juste. »
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et la drogue ?
« Des trucs qu'on doit éviter pour des raisons évidentes relatives à la santé physique et mentale, mais ceci dit j'ai toujours cru qu'il y avait une certaine partie du cerveau avec laquelle il était drôle de déc*****... »
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Quelle est la drogue que tu ne prendras jamais?« J'essaye vraiment de rester loin de l'héroïne. Est-ce que tu as envie de voir ton groupe se séparer, jouer de la musique pourrie, penser que t'es génial quand t'es à mourir...? Il n'y a aucun aspect positif là-dedans. Tu prends plein de m***** c'est comme un orgasme ! C'est génial, mais ça dure pas longtemps. Et pour moi, la musique est plus importante. Il y des gens qui font de la musique pour illustrer ce qui leur arrive, et puis ils se mettent à prendre de la drogue et ils n'illustrent rien du tout. Pour moi, le seul moyen d'exprimer les choses, c'est la musique. Alors tout ce qui peut m'en empêcher, c'est mon ennemi.
Toutes ces con***** sur le rock. Tout ces clichés. C'est tellement inintéressant. C'est marrant en tant qu'individu qui aime s'éclater, mais ça n'a rien à voir avec ce que je veux faire à l'origine. Je m'en tape si les gens pensent que je suis un c**. »
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Tu n'aimes pas parler de ta vie« Je me sens mal de parler de ça, j'ai l'impression que c'est tellement ennuyeux. Je n'aime pas quand les choses ralentissent.
Tu as lu Crime et Châtiment? Comment tu te sentais après? Probablement très différent de moi. Alors qu'est-ce que tu vas dire sur ton papelard ? On n'a pas besoin de savoir à quoi pensait Dostoevsky. Parce que ce qu'il avait dans la tête, s'il l'avait dit dans une interview, est-ce qu' on aurait abordé son bouquin différemment ? Est-ce que c'est dommage que Dostoevsky n'ai jamais fait d'interview ? Non, merci mon dieu. C'est pour ça qu'il est si bon. S'il l'avait fait, les gens se seraient dit "oh ok je vois, il est comme ci et comme ça".
Je déteste qu'on range les Strokes dans une catégorie, comme celle de 'gosses de riches', non pas parce que ma famille n'a pas d'argent (quoique la plupart de cet argent soit celui de mon père, et donc pas sur mon orbite) mais parce que ça met en doute la sincérité, et la quantité de travail accomplie. Quand j'entends la musique qu'on joue, je penses qu'on est cool, si je lisais ce qu'on raconte sur moi, alors je me trouverais merdique. »
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Quelles sont tes inffluences ?« Je suis particulièrement dingue de Bob Marley. Ce qui m'ennuie, c'est qu'étant donné que les Strokes ne jouent ni de reggae, ni de country, les gens ne se rendent pas compte de toutes ces influences. Les journalistes en savent si peu sur la musique, parfois, s'il y a quelque chose qu'ils n'arrivent pas à expliquer dans une phrase, alors ils ne l'écriront pas. »
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Que s'est-il passé avec le représentant de ta maison de disques à Paris ?« Quand tu es en tournée, tu en arrives à un point où des gens te poussent dans tous les sens et ta carrière semble être sur le point de se terminer, où tout ce que tu fais semble pouvoir être détruit par une personne qui ne pense qu'au business. Etre sur la route et être tout le temps occupé, en soi c'est déjà pas évident. Pour que ça marche comme ça marche en ce moment, pour qu'on s'entende tous bien, il faut avoir cette attitude avec les gens extérieurs, qui dit 'ne nous poussez pas à nous détester les uns les autres'. Kurt Cobain, je pense que c'est pour ça qu'il s'est tué... On peut apprendre des erreurs des autres.
Quand tu penses qu'il y a des gens qui sont là pour organiser tes journées et tout, ça paraît ridicule. Et dans la réalité, quand tu passes ton temps à faire que des m*****, rester unis et être créatif, ça devient très dur. »
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Alors qu'est-ce que les membres de Nirvana auraient du faire?« C'est ce que j'essaye de m'imaginer. Faire tout ce qu'une maison de disques te dit de faire, à la base, c'est pas bon.
Et c'est ce qui s'est passé en France. Ils nous ont menti. »
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Tu crois en Dieu ? A ton avis, que pense Dieu des Strokes?« Des fois je me demande s'il veut qu'on soit des martyrs pour les riches, qui n'ont rien à faire, mais qui inspirent d'autres gens à faire quelque chose. » Il rit malicieusement.
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Est-ce que les Strokes ont déjà été proches de la séparation?« C'est facile de rester dans un groupe tout en s'entendant mal. Le truc qui est vraiment dur c'est de rester ensemble, comme tu étais au commencement. C'est ce que je veux faire. Et pour ça, il faut mettre des gens à l'écart. La maison de disques... Enfin, peu importe. Avec eux, on en était arrivés à un point où, dans le futur, il n'y aurait plus eu de fun. A un point où on n'allait plus avoir de temps pour écrire de nouvelles chansons, pour s'amuser ensemble, pour se voir en tant que potes.
On a failli en arriver là et ce n'était pas de notre faute. Alors on s'est dit 'qu'ils aillent se faire voir'. On sera peut-être moins connus, mais au moins on écrira de bonnes chansons. »
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Parfois tu sembles t'éteindre...
Il soupire... « Je ne sais pas. Je pense à plein de choses différentes. Je pense à la musique. Des fois je pense à d'autres trucs. Je préférerais être ailleurs qu'à l'endroit où je suis. En fait, je suis attristé de savoir que ça se remarque tant que ça. »... Il regarde par-dessus mon épaule pour voir ce que j'écris, et secoue la tête une fois de plus. « Des gribouillages de dingue ! C'est déjà assez dur, tout ça, sans qu'on soit en plus obligés de se soucier de savoir si les gens nous comprennent ou pas. »
Il est maintenant minuit largement passé à Los Angeles. Les Strokes ont passé la soirée à répéter pour un passage à la télé demain, et ont aussi travaillé leurs nouvelles chansons.
« Ca pourrait être bien » dit-il « mais là, tout de suite, ça l'est pas. Une nouvelle chanson n'en est une que si elle est meilleure que les précédentes ! c'est ça le critère. »
Interview pour le magazine Rock NME.
Atypique ce personnage... c'est soit il dit trois mots ou baille, soit il fait un roman...